La rencontre du Christ en chair et en os fait surgir quelques paradoxes. Il est dans ce monde mais pas de ce monde. Il accepte les servitudes de la vie sur terre mais en même temps est capable de maîtriser la nature au point de guérir des malades. Il demande de quitter tout pour le suivre, ce qui signifie entraîner tousl es hommes pour entrer au Royaume. De là naît l’utopie évangélique : le but est inaccessible aux seules forces humaines, mais trace néanmoins un chemin à suivre.
La réflexion sur cette rencontre permet de percevoir une dimension d’universalité et d’égalité entre les personnes, la considération pour chacun, la priorité de la morale sur l’efficacité. Du coup, la conception de l’humanisme s’en trouve modifiée. Elle fait appel à l’initiative autant qu’à la réciprocité. Elle prône la pratique de la solidarité au lieu du chacun pour soi. Elle recherche le respect de la dignité de tout homme au lieu de son instrumentalisation.
Celui qui veut appliquer cette prise de conscience, sera amené à pratiquer une maîtrise de soi pour avoir le courage de prendre des responsabilités et la liberté de se décider sans se laisser influencer par les influences extérieures.
Finalement, les projets élaborés par ceux qui ont fait cette rencontre du Christ incarné, tiendront compte de la dimension collective de la vie en société. De là s’en suit la participation aux débats qui président à l’organisation de la vie sur la terre, et l’audace pour y présenter ses opinions.
Voilà comment, la personne fascinée par l’Incarnation, va se mettre à rechercher avec acharnement dans ce monde un résultat qui n’est pas de ce monde. C’est la conclusion de ce parcours de la foi. Pour l’illustrer par un exemple actuel, voici une prière de l’abbé Pierre.
« Enseigne-nous cette vérité, apprends-nous à la connaître, en faire la hase de notre éducation.
Dieu fait homme, toi qui t’es battu contre le mal, Toi qui nous as rendu capables de connaître et d’aimer,
enseigne-nous la colère contre le mal, transforme notre irascibilité en énergie, pour que nous nous battions contre la misère, contre tout ce qui empêche l’homme d’être humain.
Apprends-nous à ne pas nous contenter de discourir sur la justice.
O Dieu, donne-nous ton Esprit de force, afin que nous nous mobilisions contre la misère au lieu de nous battre contre nos frères. Et que nous nous dressions contre l’ignoble exploitation des faibles par les forts.
Seigneur, nous le savons, cela coûte cher en temps, en intelligence et en argent, de sauver de la misère les sans-logis, et les sans-pain, et les sans-école, les sans-soins et les sans-emploi. Mais combien coûtent les guerres.
Enseigne-nous, Seigneur, à dépenser l’argent, l’ingéniosité, la passion non plus pour nous entretuer
- hommes et femmes, enfants et vieillards - mais pour qu’enfin, sur le visage de tous les hommes, resplendisse ton visage.
Avec toi, Seigneur, nous déclarons la guerre, la guerre des colères de l’Amour. »